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Un 2 de coupe
("la Vache") du début du XIXème siècle
L'aluette est un jeu de cartes pratiqué dans les zones rurales et
côtières entre la Gironde et l'estuaire de la Loire, c'est-à-dire
dans la partie occidentale de la zone d'influence du patois Poitevin-saintongeais. Il est souvent
présenté comme un jeu folklorique et spécifique au département de la Vendée. Il semble encore pratiqué dans
la partie sud-ouest de la Loire-Atlantique appelée "Pays de Retz".
C'est un jeu de cartes par levées, pratiqué avec quarante-huit cartes aux
enseignes espagnoles.
On dit « jouer à l'aluette » (forme
écrite), ou plus souvent encore « jouer à la
vache » (forme orale), d'après le nom de l'une des
cartes du jeu.
Origines et évolution
Etymologie
La forme la plus ancienne du mot « aluette » est « luette », dont l'origine
reste incertaine. Le « jeu des luettes » est mentionné deux fois par Rabelais dans son œuvre : une première
fois dans Pantagruel [1] (1532)
puis dans Gargantua [2]
(1534). L'évolution par fausse-coupe de « la
luette » aurait ensuite donné
« l'aluette » et les explications de type
« alouette » ou « sans
luette » (l'utilisation des signes rendrait le jeu muet, ce
qui est faux) ne tiennent pas.
Cartes
Les cartes utilisées sont les quarante-huit cartes aux
enseignes espagnoles, héritées des mauresques par les espagnols au
quatorzième siècle. Les enseignes espagnoles sont les deniers, les coupes, les
bâtons et les épées. Ces cartes sont attestées en France au seizième siècle,
époque à laquelle les maître-cartiers français exportent alors vers
l'Espagne.
Le dessin des cartes a suivi une longue évolution, pour être fixé au XIXème
siècle. Les plus fortes cartes du jeu (les luettes, les doubles et les as) ainsi
que quelques faibles cartes présentent des portraits et des symboles
caractéristiques, ce qui fait que le jeu de carte est spécifique à la règle de
l'aluette et est donc vendu sous ce nom. Toutefois, rien n'interdit de jouer
avec un jeu espagnol si les cartes sont suffisamment bien connues des
joueurs.
Règles
L'origine des règles du jeu d'aluette reste inconnue. Deux hypothèses
s'opposent :
- le jeu vient d'Espagne et a été introduit en France par des marins espagnols
dans les ports français de l'ouest (mais curieusement le Sud-Ouest de la France
n'aurait pas été touché et le jeu aurait disparu d'Espagne sans laisser de
trace)
- le jeu est né dans l'ouest de la France ; il aurait pris pour support les
seules cartes existantes au XVIème siècle et il aurait résisté à la conversion
généralisée aux cartes françaises qui a eu lieu au XVIIIème siècle.
Les règles du jeu d'Aluette ont évolué au cours des siècles. L'une des
caractéristiques originales du jeu est l'utilisation de mimiques. D'autres jeux
de cartes autorisent celles-ci :
- le trut ou le truc, jeu du XVIIème
siécle signalé dans l'ouest de la France (par exemple
dans les Deux-Sèvres), se joue avec un jeu français de trente-deux cartes
- le mus, jeu
basque du XVIIIème siècle, se joue avec un jeu espagnol de quarante cartes
- la brisca, jeu espagnol, se joue avec un jeu espagnol de quarante
cartes
- la drogue, jeu du XIXème siècle, se joue avec un jeu français de trente-deux
cartes.
Même si les trois premiers appartiennent à des aires géographiques
compatibles avec l'histoire supposée de l'aluette, aucune parenté n'a été
établie entre ces jeux et l'origine des règles de l'aluette reste
indéterminée.
Règles du jeu
But du jeu
- Le jeu se joue à quatre, par équipes de deux. L'équipe gagnante est celle
qui marque la première cinq points.
- Chaque manche consiste en neuf levées. Les plis sont décomptés par individu
et non pas par équipe. À la fin de la manche, le joueur qui a engrangé le plus
de plis apporte un point à son équipe. Si deux joueurs ont le même nombre de
plis, c'est le premier joueur à avoir atteint ce nombre de plis qui gagne la
manche.
Les cartes
un 3 de coupe
(Madame) du début du XIXème siècle
|
un 2 de
denier (le Borgne) du début du XIXème siècle
|
un as
d'épée du début du XIXème siècle
|
un 5 de
denier (Bise-dur) du début du XIXème
siècle
|
Les quatre couleurs (deniers, coupe, épée, bâton) sont de même force et il
n'y a pas d'atout.
Les quarante-huit cartes, de la plus forte à la moins forte, se classent en
quatre catégories :
Les « luettes » :
- Monsieur (3 de denier)
- Madame (3 de coupe)
- Le borgne (2 de denier)
- La vache (2 de coupe)
Les « doubles » :
- Grand Neuf (9 de coupe)
- Petit Neuf (9 de denier)
- Deux de chêne (2 de bâton)
- Deux d'écrit (2 d'épée)
16 figures : as, rois, dames (cavalières), valets
24 « bigailles » : du 9 au 3 (sauf le 3 de denier, le 3 de coupe, le 9
de coupe et le 9 de denier)
A noter que le 5 de denier est appelé bise-dur, sans que la carte ait une
valeur particulère. Il représente un couple s'embrassant ou s'enlaçant, selon
les époques.
Les signes
A chacune de ces cartes est associé une mimique (il existe des variantes
régionales) destinée à faire connaitre son jeu à son partenaire :
- Monsieur : lever les yeux au ciel
- Madame : lever le coin des lèvres d'un côté (ou pencher la tête)
- Le Borgne : faire un clin d'œil
- La Vache : faire la moue
- Grand Neuf : montrer le pouce
- Petit Neuf : montrer le petit doigt
- Deux de chêne : montrer l'index (ou lever l'index et la majeur)
- Deux d'écrit : tourner le pouce et index vers la table comme pour écrire
- As : ouvrir la bouche (ou tirer la langue)
Les signes les plus utilisés sont souvent l'As (ouvrir a
bouche), la Vache (moue), le Borgne (clin d'œil) et Monsieur
(sourcil levés). Les autres sont dit avec
« au-dessus », ou
« au-dessous ». Exemple : as, roi, Deux de
chêne : (coup de langue), et annoncer « en
dessous et pas au-dessus mais au-dessus ».
Un jeu faible ou très faible se signale par le signe « misère », qui consiste
à lever plus ou moins l'épaule. Si le partenaire n'est pas mieux loti, l'équipe
peut décider de donner le point sans jouer.
Déroulement de la partie
- Les cartes sont distribuées par trois, soit neuf cartes chacun et douze au
« talon ».
- Si la variante dite du « chant » est pratiquée et que les quatre joueurs
sont d'accord, les douze cartes du talon sont partagées entre les deux joueurs à
la gauche du donneur. Ceux-ci rendent alors six cartes de leur choix au talon.
- Les joueurs peuvent annoncer leur jeu à leur partenaire en faisant
discrètement les mimiques convenues, et en essayant de voir celles des
adversaires. Il y a alors souvent un meneur (celui qui a le plus de jeu ou celui
qui sait le mieux jouer) et un mené dans une même équipe.
- On joue dans le sens des aiguilles d'une montre. Le joueur à la gauche du
donneur commence et les joueurs réalisent alors neuf levées. Il n'y a pas
d'obligation de fournir à la couleur, ni de surenchérir. Celui qui remporte le
pli rejoue. On parle beaucoup durant la partie, parfois pour dire à son
partenaire quelle carte jouer.
- Jeu du « pourri » ou jeu d'« autant » : lorsque les deux plus grosses cartes
d'un pli ont la même valeur (par exemple, deux as ou deux rois), le pli n'est
pour personne (il est « pourri »). On le place sur le talon et le même joueur
commence. Pour le quatrième joueur de la levée, l'intérêt de cette technique est
d'une part de ne pas se démunir de bonne carte pour faire un pli composés de
basses cartes, tout en ne laissant pas le pli à l'adversaire, et d'autre part de
« voir venir », c'est à dire de forcer l'adversaire à rejouer et donc à
découvrir son jeu. Cette technique de jeu révèle souvent la volonté d'un joueur
de faire « mordienne ».
Mordienne
- Faire « mordienne », c'est gagner en remportant consécutivement les
dernières levées sans avoir ramassé de plis auparavant et sans qu'un des
derniers plis ait été pourri. Par exemple, si les trois autres joueurs ont fait
chacun deux plis, le joueur qui remporte les trois derniers plis fait
« mordienne ».
- L'intention de faire mordienne s'annonce à son partenaire et se mordant la
lèvre.
- Une mordienne rapporte deux points. Si elle a été annoncée à haute voix en
début de manche, elle peut-être acceptée ou déclinée par l'équipe adverse : si
elle est acceptée, la partie se joue en dix points et le gagnant marque deux
points; si elle est déclinée, la manche n'est pas jouée et l'annonceur marque un
point.
Intérêt du jeu
L'aluette est aujourd'hui un jeu délaissé et on ne peut manquer de noter que
sa disparition pourrait suivre de peu celle du patois Poitevin-saintongeais. Ce jeu a pourtant
des qualités spécifiques qui pourrait lui valoir un regain d'intérêt :
- l'exotisme du jeu de carte, puisque c'est le seul jeu qui se joue en France
avec des cartes aux enseignes espagnoles et que nombre de figures sont
spécifiques à l'aluette
- l'originalité de la déclaration du jeu par mimiques
- la convivialité des parties, conséquence des mimiques et de la totale
liberté de parole pendant les parties.
Constatant le renouveau des jeux de société depuis la fin des années 90, on
peut estimer que l'aluette pourrait trouver sa place auprès du public entre le
tarot et Jungle Speed, par exemple.
Sources et références
Étymologie et langue :
- Pierre Rézeau, Dictionnaire du français régional de Poitou-Charentes et
de Vendée, Editions Bonneton, Paris, 1990
- Michel Gautier et Dominique Gauvrit, Une autre vendée chapitre
XXVIII, Editions du Cercle d'Or, Les Sables d'Olonne, 1981 (restitution de
nombreuses expressions patoises utilisées dans le jeu)
- Un vrai jeu de
bandits : l'atmosphère sonore d'une partie d'aluette captée par arte
radio.com
Règles :
- Revue du Bas-Poitou, tome XVIII, Fontenay le Comte, 1907
- Claude Aveline, Le code des jeux, Hachette, Paris, 1961
- J.M. Simon, Règle du jeu de cartes d'aluette, Grimaud, Paris, 1969
Origines et évolution:
- Alain Borvo, Anatomie d'un jeu de cartes - l'aluette ou le jeu de la
vache, Librairie nantaise Yves Vachon, Nantes, 1977
- Alain Borvo, Découvrez l'aluette dans Jeux et Stratégie, n° 4 Août
1980
- Jean-Marie Lhôte, Dictionnaire des jeux de société, Flammarion,
Paris, 1996
Notes
- ↑ Pantagruel, chapitre 5 :
Ainsi s'en retourna non pas à Poictiers, mais il voulut visiter les aultres
universitez de France, dont passant à la Rochelle se mist sur mer & s'en
vint à Bourdeaulx, mais il n'y trouva pas grant exercice, sinon des gaubarriers
à iouer aux luettes sur la grave (Pantagruel ne trouva pas grand
exercice à Bordeaux sinon des gabarriers jouant aux luettes sur la grève)
- ↑ Gargantua, chapitre 20 : Puis
le verd estendu l'on desployait force chartes, force dez, & renfort de
tabliers. Là iouyoit au fleux, au cent, à la prime, à la vole, à le pille, à la
triumphe: à la picardre, à l'espinay, à trente & un, à la condemnade, à la
carte virade, au moucontent, au cocu, à qui a si parle, à pille: nade: iocque:
fore, à mariage, au gay, à l'opinion, à qui faict l'un faict l'autre, à la
sequence, aux luettes, au tarau, à qui gaigne perd, au belin, à la
ronfle, au glic, aux honneurs, à l'amourre, aux eschetz, au renard, aux
marrelles, aux vasches, à la blanche, à la chance, à troys dez, aux talles, à la
nicnocque. A lourche, à la renette, au barignin, au trictrac, à toutes tables,
aux tables rabatues, au reniguebleu, au force, aux dames: à la babou, à primus
secundus, au pied du cousteau, aux clefz, au franc du carreau, à par ou sou, à
croix ou pille, aux pigres, à la bille, à la vergette, au palet, au iensuis, à
fousquet, aux quilles, au rampeau, à la boulle plate, au pallet, à la courte
boulle, à la griesche, à la recoquillette, au cassepot, au montalet, à la
pyrouete, aux ionchées, au court baston, au pyrevollet, à cline musseté, au
picquet, à la seguette, au chastelet, à la rengée, à la souffete, au ronflart, à
la trompe, au moyne, au tenebry, à l'esbahy, à la foulle, à la navette, à
fessart, au ballay, à sainct Cosme ie viens adorer, au chesne forchu, au chevau
fondu, à la queue au loup, à pet en gueulle, à guillemain baille my ma lance, à
la brandelle, au trezeau, à la mousche, à la migne migne beuf, au propous, à
neuf mains, au chapifou, aux ponts cheuz, à colin bridé, à la grotte, au
cocquantin, à collin maillard, au crapault, à la crosse, au piston, au bille
boucquet, aux roynes, aux mestiers, à teste à teste bechevel, à laver la coiffe
ma dame, au belusteau, à semer l'avoyne, à briffault, au molinet, à defendo, à
la virevouste, à la vaculle, au laboureur, à la cheveche, aux escoublettes
enraigées, à la beste morte, à monte monte l'eschelette, au pourceau mory, à cul
sallé, au pigeonnet, au tiers, à la bourrée, au sault du buysson, à croyzer, à
la cutte cache, à la maille bourse en cul, au nic de la bondrée, au passavant, à
la figue, aux petarrades, à pillemoustard, aux allouettes, aux
chinquenaudes.